L'existence de l'esclavage a longtemps été considérée comme une sorte
de tache sur la Grèce ancienne, singulièrement à propos d'Athènes.
L'esclavage est en effet, aux yeux des modernes, en contradiction
flagrante avec la conception même de ce régime démocratique. De fait, la
société grecque, comme toutes les sociétés de l'Antiquité, a pratiqué
l'esclavage ou des formes voisines et plus particulières de dépendance. Ce
fait peut être constaté quel que soit le type de régime politique de ces
sociétés, démocratie, monarchie, oligarchie ou tyrannie.
Dès l'époque mycénienne, et plus encore dans la société des poèmes
homériques, nous constatons l'existence des esclaves. Mais c'est au cours
de la période classique que l'esclavage prit son plus grand développement.
Toutefois, on remarque qu'il n'est pas aisé à cerner, la langue grecque
elle-même utilisant un vocabulaire varié, dont le terme le plus fréquent
est doulos. Ce fait linguistique indique que les situations de dépendance
personnelle recouvrent des aspects fort différents, du pur et simple
esclave-marchandise à des situations comparables au servage médiéval. Dans
tous les cas, c'est la dépendance personnelle à l'égard d'un maître,
l'absence de liberté qui définit l'esclave.
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Vase
à parfum : tête d'Africain
Le cas athénien
On peut s'accorder sur un nombre qui oscille entre 80'000 et 150'000
esclaves à Athènes. En tout cas, il s'agit d'un nombre supérieur au nombre
des citoyens. Ce qui impressionne le plus est le fait que les esclaves se
rencontrent partout. Les esclaves n'ont aucun droit politique. Ils sont la
chose de leur maître, un bien (ktêma) parmi d'autres, ils lui
appartiennent et celui-ci fait d'eux ce qu'il veut : les faire travailler,
les louer, les vendre. Toutefois il ne possède pas sur eux un droit de vie
et de mort et ne peut les maltraiter impunément.
L'esclave n'est pas un « être juridique » : il ne possède rien (hormis
un maigre pécule), n'a pas le droit de propriété, ne peut se marier, ne
peut pas aller en justice et son témoignage n'est pas recevable. De même
qu'il n'a pas de droits politiques, il ne peut généralement pas participer
à la guerre, sauf dans quelques cas exceptionnels (valet d'arme par
exemple) ; il ne participe pas non plus aux grands rituels religieux de la
cité, qui impliquent le corps civique, mais il peut se faire initier aux
mystères d'Eleusis. Ce statut se traduit, par exemple, par la
quasi-absence des esclaves dans les représentations figurées.
Mais l'esclave est d'abord utile, il remplit un certain nombre de
fonctions. Par principe l'esclave est voué aux besoins de son maître. Il
travaille en général pour lui, mais il faut souligner qu'il n'y a pas
d'activités qui soient spécifiques aux esclaves. Ces derniers pouvaient
faire les mêmes choses que des hommes libres. La véritable distinction est
dans les conditions de ce travail : l'homme libre pouvait disposer à sa
guise de ses revenus, pas l'esclave. Ainsi sur les chantiers de l'Acropole
au 5 e siècle avant J.-C. on rencontre autant d'esclaves que d'hommes
libres parmi les ouvriers. Cette situation faisait qu'il était impossible
de distinguer un esclave d'un citoyen pauvre, ce que déplore d'ailleurs un
pamphlétaire antique.
Devenir esclave
Pour faire travailler ou simplement utiliser des esclaves pour ses
propres affaires, il fallait se les procurer. Guerre, commerce, razzia et
piraterie sont les meilleurs moyens de les obtenir. Tomber en esclavage
pouvait être une situation fréquente. La première source d'esclaves est la
guerre : les prisonniers sont alors vendus ou deviennent le bien du
vainqueur, quel que soit le statut social du vaincu : Les Troyennes
d'Euripide s'ouvrent sur les lamentations de la reine de Troie, Hécube,
qui, vaincue, se prépare à l'esclavage. Mais on connaît des situations qui
permettent aux prisonniers de racheter leur libération.
La guerre n'est pas toujours suffisante. Le commerce, aux mains des
Grecs dans ce monde méditerranéen, est une autre manière de faire venir
les esclaves : les Grecs les échangent avec les pirates, souvent barbares,
qui sillonnent les mers. Un exemple de ce type de razzia est donné par
l'écrivain Longus (2 e siècle après J.-C.) dans son roman Daphnis et
Chloé. Il raconte l'arrivée brutale des pirates qui raflent hommes et
animaux sur le rivage. Les captifs sont ensuite revendus sur les marchés
des villes.
Il se peut qu'en Grèce la grande majorité des esclaves aient été des
étrangers, surtout des barbares : des Thraces, des Scythes, des
Cappadociens, des Noirs. Mais à Athènes, on a connu l'esclavage pour
dette. C'est la situation des paysans pauvres de l'Attique à la fin du 7 e
siècle avant J.-C., les héctémores : pas complètement esclaves, mais
largement dans une dépendance personnelle à l'égard du propriétaire
terrien, situation de laquelle découle la crise sociale grave qui mène aux
réformes de Solon et plus tard au régime démocratique. La suppression de
l'esclavage pour dettes à sans doute conduit au développement de
l'esclavage-marchandise.
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Esclave
enchainé
Des situations variées
Dans les cités, les esclaves remplissent une fonction, ils ont une
utilité tant sociale qu'économique, et les citoyens pouvaient faire ce
qu'ils souhaitaient de ce "cheptel humain". Le travail était bien sûr la
première occupation dédiée aux esclaves. Il ne faut toutefois pas imaginer
la grande masse des citoyens comme des oisifs entourés d'une multitude
d'esclaves aux petits soins et travaillant pour eux. Un esclave coûte
somme toute assez cher ( Xénophon évoque le chiffre de 180 drachmes, alors
qu'une drachme représentait le salaire d'une journée de travail d'un
ouvrier) et seuls les très riches citoyens pouvaient en posséder beaucoup.
Cette position d'oisiveté n'était que l'apanage d'une toute petite portion
de la population, détachée de toute préoccupation de rentabilité
immédiate.
En réalité, il n'existe pas d'activités qui soient propres aux
esclaves. Sauf dans les mines du Laurion (mines d'argent au sud de
l'Attique) où la main-d'œuvre servile semblait être prééminente. Une
situation bien évidemment plus que pénible en regard du type de travail
qui était demandé. Ces esclaves devaient être fort nombreux : Thucydide
évoque la « désertion de plus de 20'000 esclaves » au cours de la guerre
du Péloponnèse (415-413 av. J.-C.). Tous les esclaves n'étaient pas dans
cette situation.
Certains travaillaient sur le domaine de leur maître, comme régisseurs
parfois ; certains avaient même accès, au 4 e siècle avant J.-C., aux
métiers de la banque (comme le célèbre Pasion dont parle l'orateur
Démosthène). Mais la plupart d'entre eux travaillaient dans les boutiques
ou les ateliers des commerçants et artisans, parfois dans de véritables
entreprises de taille moyenne : la fabrique de boucliers de Lysias - un
métèque - employait 120 esclaves !
De même, chaque famille possédait un ou deux esclaves domestiques,
voire plus chez les très riches Athéniens. Ici, ils jouent des rôles
précis : servantes de leurs maîtresses, nourrices, valets, etc. On
rencontre également des esclaves parmi les pédagogues. Il existait aussi à
Athènes des esclaves publics, entretenus par la cité comme les 700 archers
scythes chargés de la police !
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Femmes
esclaves : laveuses
Les autres situations de dépendance
Athènes utilisait donc de nombreux «esclaves-marchandises». Mais il
existait d'autres situations de dépendance personnelle. On a souvent parlé
de l'esclavage de type hilotique par référence aux hilotes de Sparte. Mais
on sait qu'il existe dans de nombreuses autres cités grecques des
situations de même ordre : Gymnètes à Argos, Pénestes en Thessalie, etc.
Le cas des hilotes de Sparte est le mieux connu. Ils sont esclaves de
la communauté des Spartiates, esclaves de la collectivité, ils sont à la
disposition de celle-ci pour mettre en valeur les terres et la nourrir.
Les hilotes dépendaient d'un maître auquel ils versaient une part de la
récolte. Celui-ci pouvait les utiliser comme il le voulait. Ils
constituent un groupe social, se marient entre eux, ont des enfants ;
c'est donc un groupe qui se reproduit par lui-même, ce qui est une
différence essentielle avec «l'esclave-marchandise». Les hilotes sont
attachés à la terre, ils ne peuvent s'en aller, subissent des
humiliations, des brutalités, des châtiments corporels ; c'est une
situation dégradante à plus d'un titre, qui traduit le profond mépris que
leur vouaient les Spartiates. En fait, ils sont le résultat de la conquête
: ils sont sans doute les descendants des peuples de Laconie et de
Messénie conquis et soumis par les Spartiates.
Les auteurs antiques rapportent que les Spartiates se méfiaient des
hilotes et en avaient une certaine peur : à chaque entrée en charge des
éphores, on aurait déclaré une guerre contre les hilotes afin de pouvoir
les tuer sans être souillé par un crime ! Les hilotes auraient également
été considérés comme des victimes potentielles lors des crypties, cette
partie majeure de l'agôgê, l'éducation spartiate : à cette occasion, le
jeune Spartiate était livré à lui-même dans la nature et aurait pu
également tuer des hilotes si cela était nécessaire. Toutefois, ces
renseignements livrés par des auteurs antiques non-Spartiates et qui
écrivent souvent plusieurs siècles après les faits relatés sont à prendre
avec prudence.
En cas de guerre, les Spartiates n'ont pas hésité à enrôler des hilotes
dans l'armée, surtout dans les périodes où le nombre de citoyens diminuait
dangereusement. Ils leur offraient alors la possibilité d'être affranchis
et de devenir dans certains cas de nouveaux citoyens, les néodamodes.